Ponge vivant
Il faudrait tout lire ou relire de lui, être attentif – pour une fois – à ses mots, ses phrases et ses manières, saisir une nouvelle fois tout l’intérêt de l’écrivain – comme on le dit du Temps – de son style, de cette façon si particulière et si attendue de voir et de prendre son parti des choses – ces objets qui ne se livrent qu’à ceux qui savent voir et entendre la musique singulière de la pluie, des mûres, du galet ou de la crevette. Pour qui passe des heures à regarder le ciel, à ne rien faire, à méditer sur ses doutes et à douter des silences, à lire ses classiques, à écouter ses musiques, ne rien vouloir, à griffonner quelques aphorismes délicieux, ou d’autres petits textes éphémères qui bien heureusement ne seront lus par personne, à l’exception de ses doubles qui ne manquent pas de s’en amuser.
» La pluie, dans la cour où je la regarde tomber, descend à des allures très diverses. Au centre c’est un fin rideau ( ou réseau ) discontinu, une chute implacable mais relativement lente de gouttes probablement assez légères, une précipitation sempiternelle sans vigueur, une fraction intense de météore pur. » (1)
» Noirs, roses ou kakis ensemble sur la grappe, ils offrent plutôt le spectacle d’une famille rogue à ses âges divers, qu’une tentation très vive à la cueillette. » (1)
» Ce lâche et froid sous-sol que l’on nomme la mi a son tissu pareil à celui des éponges : feuilles ou fleurs y sont comme des soeurs siamoises soudées par tous les coudes à la fois. Lorsque le pain rassit ces fleurs fanent et se rétrécissent : elles se détachent alors les unes des autres, et la masse en devient friable… » (1)
Lisant tout cela la main légère sous l’oeil pétillant de l’un de ses doubles, il pense que l’écrivain a tellement fréquenté les fleurs qu’il a saisi comme aucun la floraison des femmes qui savent lire, et qui ne manquent de lui prouver. Porter une fleur à ses lèvres comme l’on pose sa main sur une peau. » A les respirer on éprouve le plaisir dont le revers serait l’éternuement.
A les voir, celui qu’on éprouve à voir la culotte, déchirée à belles dents, d’une jeune fille qui soigne son linge. » (1)
à suivre
(1) Francis Ponge / Tome Premier / Gallimard / 1965
Philippe Chauché
http://chauchecrit.blogspot.fr/