Kaménosuké Ogata.
1900-1942.
Peintre, poète d’avant-garde japonais.
D’abord peintre comme membre du groupe « Mavo » à Tokyo,
il a publié ensuite 3 recueils de poèmes.
Présentation par Atsuko Nagaï.
(Professeur à l’Université Sophia, Tokyo, Japon)
Lecture par Martine Monteau.
(poète, critique, historienne d’art)
Kaménosuké Ogata est né en 1900, et il est mort en 1942, un an après l’attaque de Pearl Harbor. Il vécut ainsi la modernisation et l’occidentalisation accélérées qu’a connues son pays après 200 ans de fermeture des frontières, et l’explosion brutale de l’impérialisme nippon. Cependant, entre la guerre russo-japonaise et le début de l’invasion violente du nord-est de la Chine par l’armée japonaise en 1931, notamment dans les années 1920, le Japon a connu un mouvement court, mais sûr de démocratisation. C’est dans ce mouvement qu’ Ogata a passé sa jeunesse et qu’il a commencé ses activités artistiques.
Né dans une famille fortunée à Séndai, grande ville du nord du Japon, il a commencé sa carrière artistique comme peintre. Surtout il a découvert l’avant-garde russe grâce à un oncle par alliance, lequel a beaucoup soutenu un peintre d’avant-garde russe Burliuk qui avait choisi le Japon comme escale de son exil. Ogata a exposé ses peintures avec les futuristes. Il a organisé en 1923 avec d’autres jeunes artistes un groupe d’avant-garde: “Mavo”. Après avoir arrêté de peindre, il entama sa création poétique. Il a publié trois recueils : La Ville aux verres colorés (1925), Un Matin où il va pleuvoir (1929), et La Maison aux portes coulissantes de papier (1930). Il a également écrit des récits, des scénarios, etc… Dans sa dernière période, la fortune familiale épuisée, il fut employé dans une mairie pour gagner sa vie. Finalement, il est mort en 1942, dans la pauvreté, l’alcoolisme et la dégradation incurable de sa santé, tout en restant poète indépendant et sans changer d’idéologie.
Les poèmes d’Ogata contiennent clairement quelques points communs avec la poésie moderne japonaise des années 1920 : la brièveté, l’orthographe fidèle au langage parlé, la simplicité des mots et des phrases. Son originalité qui traverse tous ses poèmes vient surtout de ses réflexions sur la relation entre lui et l’autre, approfondies à travers l’écriture. Bien que sa période de création poétique ne soit pas longue, du premier recueil au dernier, il y a une évolution certaine. Alors que le premier, La Ville aux verres colorés, est teinté de lyrisme et d’une goutte d’exotisme, dans le dernier recueil, La Maison aux portes coulissantes de papier le poète se dirige plus directement vers la société contemporaine. La question de la relation du soi avec l’autre, qui me semble un sujet essentiel de la poétique d’Ogata, est toujours présente. Il se sent et se veut impénétrable. Cependant, il ne se contente pas toujours d’être enfermé dans son for intérieur. Le poète exprime souvent un désir impatient et fort de communication quoiqu’il le fasse de manière maladroite. Le monde poétique d’Ogata n’est pas teinté d’un pessimisme maladif. C’est sans doute parce que le poète qui jette un regard nerveux autour de lui sait que le monde dans lequel il vit s’ouvre aussi vers le ciel et l’univers. Tout en souffrant de la difficulté d’avoir une relation juste avec le monde extérieur, c’est-à-dire sa femme, sa famille, ses amis, la société, le pays qu’est le Japon, son époque, il sait contempler le ciel et le cosmos. Il ne prend jamais dans ses poèmes une position égocentrique, narcissique. Et cela les allège. Dans le dernier recueil, disparus les poèmes en vers, les proses, où la ponctuation revient, prennent souvent le style du monologue. Il décide de rester chez lui, de rester lui-même, tout en laissant s’écouler les éléments du dehors : l’eau, l’air et la lumière, de sorte qu’il arrive à obtenir paradoxalement une liberté d’esprit. Cette décision ne devait pas être facile quand le poète vivait une époque de censure et de dénonciation. Il montre dans ses poèmes qu’il est resté un japonais médiocre et faible dégoûté d’être membre d’un pays qui s’acharnait à obtenir par la violence et militairement un panache. C’est sans doute la forme de résistance qu’il réussit à trouver contre l’arrogance belliciste de l’époque.
EXTRAITS DES POÈMES
《Le Vieux voisin qui est sur le point de mourir》
Il y a à côté de chez moi un vieillard qui est sur le point de mourir
Je n’arrive pas
à cesser d’être énervé par ce vieillard
à pas de velours faiblement
il passe la porte en cachette
puis tout bruit disparaît
non je ne veux pas le voir mais bizarrement je le rencontre souvent
et
mon inattention risque de le faire s’inviter dans ma maison
《La Nuit, à la fin du printemps quand on est fatigué》
Je vais poser un livre lourd comme le dictionnaire sur
la grenouille qui coasse
Je vais jeter de l’encre de Chine sur le lever tardif de la lune
Et
Je vais laisser la lampe électrique allumée toute la nuit.
《L’Automne idiot》
Le ciel d’automne s’est dégagé
Couché sur la terrasse en bois
Yeux entrouverts
Que s’élève à la perte de vue le ciel
《La Maison》
(la première partie)
La faible lumière qui s’éclaircissait au crépuscule s’est effacée, il faisait sombre, et quand l’habituel vent d’ouest s’est levé, les lampes se sont allumées dans la ruelle. La nuit est tombée. J’étais déjà à l’intérieur quand j’ai fermé les volets. Je ne les ai pas fermés de dehors pour m’en aller ailleurs.
(…)
(la dernière partie)
(…) Le repas du soir fini, je ne pense pas forcément qu’il ne reste plus qu’à me coucher, mais finalement je vais au lit. Je me réveille deux fois dans la nuit, et n’arrivant plus à me rendormir, il m’arrive de fumer une cigarette. De temps en temps quand je suis couché, des gouttes d’eau de pluie tombent du plafond sur mon visage, et au matin, personne ne vient ouvrir la porte que j’ouvre toujours de l’intérieur. Regard chassieux, visage distrait, cigarette aux lèvres, je soulève le couvercle de mon habitacle, l’air grave.
traduit du japonais par Atsuko Nagaï et Martine Monteau