Méditation devant les encres de Xié Chunlin
Le peintre calligraphe Xié Chunlin, enseignant son art en chine, a exposé ce printemps 2015, à Kyoto, Kyoto city international Foundation, Kokoka, du 31 mars au 4 avril. Soixante quatre peintures à l’encre, pour la plupart en couleurs, montées sur kakémono, étaient réunies.
Ce maître reconnu en Chine retrouve la tradition de ses ancêtres et en respecte les règles et les thèmes d’inspiration. Sa maîtrise du sumi-e, peinture à l’encre et au ponceau sur papier de riz, pèse ainsi les pleins et les vides, le proche et le loin, l’élan et le stable. Ces visions poétiques, où l’œil circule en zig-zag dans la verticalité donnent à méditer.
Tel celui de Li-Po contemplant la cascade, reprenant une scène célèbre de la culture chinoise, notre œil bondit de roc en cascade, du nuage au pont, de la sentine au regardeur. Les oiseaux volent à hauteur du promontoire où se tient Li-Po. Sous eux des bouquets de pins, tandis que transparaît la Montagne entre les bancs de blancheurs.
L’exposition rassemblait des paysages, des spécimens colorés de la faune et de la flore, quelques personnages de la tradition. Mais dans les nombreux catalogues et albums présentés, on découvre chez Xié Chunlin, qui expose depuis les années 1980, des encres renouvelant les thèmes, notamment dans de puissantes marines. Xié Chunlin excelle à peindre la force de l’eau, torrents et marées. Un grand format, en tons sépia et brou de noix, montre la cavalcade d’une mer démontée, la cadence des déferlantes à l’assaut du rivage.
Ce sont là, sur le vif et longtemps médités, des paysages et des êtres vrais, observés mais aussi bien recréés, sublimés.
Son bestiaire, son herbier raffinés sont d’Orient : grues, cigognes, hérons, canards et autres oiseaux, carpes, panda ou chèvre, auxquels répondent des pins torturés, des branches noueuses, fleuries, des lys, volubilis, nymphéas, camélias qui feront exposer saisonnièrement le kakémono dans l’alcôve, près d’une fleur unique ou d’une branches. Dialogue tacite.
Les paysages – temples, hameau perdu dans les hauts – sont à lire, la plupart verticalement, à travers sentes et nuées, traits de pinceaux, enchevêtrements basaltiques, en plongée, au passage du petit pont, d’îlot en îlot. En ces lieux d’éternité se découvrent peu à peu un pavillon de thé blotti sous la feuillée, un héron, une pagode perçant la nue, des chevaux galopant, une barque songeuse … arrière-pans d’un monde. Le regard pèse les gris, les noirs, suit le dialogue des vides et du compact, du dense et du fluide. Les éléments échangent leur substance et qualité. Tandis qu’ancrant le paysage cascade et vapeur lumineuses fendent les blocs rocheux, eaux et forêts perpétuent l’immuable. Monts escarpés, ravins enfoncent la brume de l’impermanence. La précision du lointain illimite le proche. Le cycle des métamorphoses est infini.
Par ces tableaux et motifs, le peintre, qui renoue avec les Anciens, rêve et nous fait contempler sa nostalgie d’une Chine éternelle. Flou, net, le souvenir évanescent ressurgit, incandescent, de l’immémorial.
Plénitude et retenue d’un Temps où s’écoulent de toute part la vie, les flux d’énergie, vents et marées, sèves et floraisons, émergences, éclats, envolées, courses, remuements. Renouements.
* * *
Ile la Montagne
Iles le village, le temple, le bois
Iles célestes, verticales
Le pays cèle son mystère d’amont
Forêt impénétrée
Crêtes frontières, sentier qui se perd
L’homme de l’art n’assujettit pas la nature
Il connaît tout des arbres, aiguilles de pin, épines, racines, graines
mousses, lianes, écorce, torsions du tronc
et l’inversion des feuilles, le déroulement de la vrille
du tourment de la roche à la branche abrégée
Et du fruit, sa rondeur et sa chair, onctueuses
de la plume, son luisant
du nuage, sa soie opaque
d’une cascade, sa lame étincelante
Brindille et sève, le pinceau est un printemps qui geste
Il sait l’exil des hauteurs, des blancheurs, de la mémoire et de l’oubli
Il éveille, désenfouit
Chaque île ancrée au ciel
chaque mont d’appel en écho
abrite son veilleur
Qui se souvient démure les sources
ramène les lointains à la contrée diaphane
rameute le vif à sa transparence et son opacité
Entre le chaos des blocs, les arbres tors, les trouées
et l’ascension assurée
va la transhumance des sens
Île de la vision
ce lieu de l’esprit pour la méditation
empierrant les nuages
vaisseau d’encre
Les envols migrateurs ouvrent la frontière
où signes et lignes s’incarnent, convergent
Semailles oublieuses du présent
dont l’écume, la coulée prouvent qu’il n’est pas
ensablement naufrageur, naufragé
surgissements insulaires
l’Originel est demeurant
Île de la Mémoire. Résurgences
Ci-bas la terre absentée
profanée, saccagée
mise hors
êtres fongibles
Ici, paysée, terre altière inaltérée, en Nous
éclairée du dedans par le geste qui l’informe, la recrée, la sert
l’accomplit
Arrimé par l’art, le rêve
où brisent nos furies océanes
au jeu des échos
au plongeoir du vide
délivré
un lent chemin mémorieux, une remontée
serpente, s’insinue
Ni divisés ni séparés
par le trait qui les arrache, les unit
par un long bras de brume
par l’écharpe irisée
mariés, l’une en son voile immaculé, l’autre massif et granité
remembrés le loin le proche sous l’éclat du Visible
Mangée de brume notre contemplation
s’enlise dans le rien
où se suspendent les haleines
s’égaye dans le tout : ruptures, brisures, abrupts, arrêts, élan continu, souffle
à contre-courant
contre le temps, le périssable
contre l’oubli
à l’extrême crête notre regard hisse l’escarpement
à la pointe ouvrante du pinceau.
* * *
Martine Monteau
Kyoto, 31 mars 2015